Demain les cœurs de ville : vers un urbanisme pragmatique

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novembre 2020

« On risque fort d’assister à la victoire de Frank Lloyd Wright sur Le Corbusier : la "ville dense" n’a plus la cote. Les gens vont préférer de plus en plus l’étalement urbain, les jardins, l’entrelacement des zones cultivées et des zones habitées ». En réaction à l’hégémonie du modèle métropolitain le géographe américain Joel Kotkin imaginait ainsi que la crise sanitaire entraînant des modifications de nos modes de vie aurait pour conséquence l’accélération de l’étalement urbain.

En effet la crise du COVID-19 a révélé un phénomène déjà existant, celui de la prise de conscience de la vulnérabilité des grandes aires urbaines et une critique du cadre de vie qu’elle génère : le coût de la vie, le prix de l’immobilier, l’exiguïté des logements, la pollution et le bruit générant un environnement nuisible à la santé. En parallèle de cette critique, la crise que nous vivons a exacerbé l’éloge de la maison individuelle, l’opposant à la ville dense et la présentant comme un idéal répondant au besoin actuel de proximité avec la nature et de maîtrise de son environnement.

On peut donc craindre que la crise sanitaire, confortée par la forte récession annoncée, n’accentue le phénomène de désaffection des centres urbains au profit de leurs périphéries qui répondent mieux au rêve de la maison avec jardin. Cependant, aux vues de l’urgence des enjeux environnementaux qui se présentent à nous, l’extension du péri-urbain se faisant à la faveur du tout voiture et des grandes surfaces commerciales ne peut se présenter comme une solution pérenne.

Dès lors que l’on rejette le modèle de la ville dense, tout en affirmant la nécessité de ne plus consommer les espaces pour les bâtir, quelles alternatives se présentent à nous? Comment et à partir de quoi imaginer et concevoir de nouveaux modes d’urbanisation durables en faveur des nouvelles manières de travailler, de consommer, de vivre ensemble, de se déplacer ?

Les centres des petites et moyennes villes comme alternative aux modèles existants

Face à cette dynamique de rejet des métropoles que l’on peut qualifier «d’anti-urbaine », initiée par le mouvement des gilets jaunes et confortée durant la crise sanitaire, les centres des petites et moyennes villes se présentent aujourd’hui comme une alternative aux modèles existants. Les qualités intrinsèques qu’ils possèdent de part leur structure urbaine offrent la possibilité de concilier la quête de verdure et d’espace tout en répondant aux enjeux sociaux et écologiques actuels.

Ces cœurs de ville, délaissés ces dernières décennies au profit des modèles décrits précédemment, présentent dans la majorité des cas des difficultés croissantes se traduisant par une vacance résidentielle et commerciale élevée, une déprise démographique, une dégradation de l’offre de services publics... Face à ce constat l’état a initié ces dernières années des politiques publiques pour initier la revitalisation de ces centres, notamment avec le programme “Action Cœur de ville » lancé en décembre 2017.

L’attractivité de ces territoires d’avenir fondée sur le mieux vivre ensemble, et avec la nature, requiert plusieurs conditions essentielles : la mutabilité des structures bâties existantes pour adapter l’habitat et les commerces aux besoins actuels, la proximité et la qualité des services offerts (en équipement scolaire, culturel, et de santé), la desserte et l’accès aisé à une grande agglomération (présence d’une gare à proximité, proximité des infrastructures routières).

Une pratique axée sur les leviers de développement local et le potentiel de chaque territoire

La transformation de ces centres historiques nécessite au préalable de faire évoluer les pratiques actuelles de conception et de mise en œuvre des projets urbains. Le modèle d’urbanisme générique se traduisant par une standardisation des formes bâties ne peut s’appliquer dans ces cœurs de ville présentant des situations singulières. La revitalisation de l’urbain ne doit plus se faire par la définition d’outils pour calculer, quantifier et planifier, mais dans la mise en œuvre d’un cadre conceptuel et d’un savoir-faire pour créer un urbain axé sur les leviers de développement local et le potentiel de chaque territoire. Elle nécessite un travail progressif de recherche à la fois exhaustif et sensible ou le projet de territoire et les architectures créées y sont conçus comme une narration qui tisse le lien entre passé et avenir.

Cette approche nous amène à questionner notre vision de la valeur patrimoniale. En effet notre expérience en réhabilitation d’édifices ou en revitalisation d’ensembles urbains patrimoniaux nous a démontré que celui-ci est trop souvent perçu comme immuable. Les politiques mises en œuvre oscillant entre soutien à la conservation du patrimoine bâti exceptionnel et soutien à la construction neuve générique participent à cette dynamique et agissent comme un frein à la reconversion du patrimoine bâti. Or la valeur patrimoniale n’a pas pour seule vocation l’idée de conservation, le patrimoine peut être pensé comme une ressource vivante sur laquelle fonder le projet de revitalisation du territoire.

Entre conservation, réhabilitation ou démolition, le renouvellement des centres doit être avant tout une affaire de choix fait en concertation avec les acteurs locaux. La mutabilité de ces cœurs de ville permise par une vacance élevée offre l’opportunité d’aérer le tissu urbain et concevoir une nouvelle physionomie de l’espace public accompagnant la transition mobilitaire. En ce sens la mise en œuvre d’une stratégie de dédensification des cœurs de ville pourrait être une solution pour offrir à court terme une nouvelle qualité de vie à ses habitants. En imaginant à plus long terme que l’arrivée de nouveaux habitants, attirés par un cadre de vie renouvelé, participerait à la renaissance du territoire.

Ce processus de dédensification nécessite de réaliser simultanément un travail fin de recensement à la parcelle, et d’analyse urbaine et paysagère à l’échelle territoriale. En rupture ou en continuité, la revitalisation des centres des petites et moyennes villes en tant qu’alternative durable aux modèles urbains dominants se présente comme l’opportunité de mettre fin à plusieurs décennies d’urbanisme dogmatique et générique pour laisser place à un urbanisme pragmatique et spécifique.

Traisnel Pierre, Teisserenc Barbara,

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